1926 – 1945
La peinture japonaise de l’ère Shōwa (1926-1989) d’avant-guerre est largement dominée par les figures de Sōtarō Yasui et Ryūzaburō Umehara, tous deux sont initialement proches de leurs références, Matisse pour l’un, Renoir pour l’autre. Mais ils infléchissent leur pratique vers des nuances plus « nationales », frontalité, composition simple, dessin linéaire au contour clair, qui rencontrent leur public dans les années 193089. Umehara fonde le groupe Kokuga-kai à la fin des années 1920 en offrant une place aux potiers et aux photographes, il était le premier à offrir ainsi une place à la photographie au sein d’un groupe de peintres et de quelques potiers.
Notons, en parallèle à cette introduction des potiers au sein d’un groupe d’artistes à la fin des années 1920, que la céramique Jōmon est alors de mieux en mieux connue et appréciée, même si cela perturbe les idées reçues concernant l’histoire du Japon en lien avec la lignée impériale. En effet le premier manuel d’archéologie japonais de Préhistoire voit le jour en 1929, le « Précis sur l’âge de la pierre au Japon » par Nakaya Jiujirō (1902-1936)90, et que le premier classement des céramiques Jōmon par Yamanouchi Sugao (de) (1902-1970) est publié en 1937, après de nombreuses études partielles publiées dans les années 1920. Le regard moderne se forme ici au contact des cultures anciennes autochtones et de leurs figures étrangement kawaii.
Le mouvement surréaliste, au Japon, se développe dans les années vingt avec des poètes: KITAZONO Katsue, UEDA Tamotsu et UEDA Toshio91. À partir de 1930 le surréalisme se fait une place importante92. FUKUZAWA Ichirō (de) avait fait la découverte, en France entre 1924 et 30, de Chirico et Ernst du mouvement surréaliste. Le premier mouvement qu’il crée attire à lui des artistes « fauves » qui furent entrainés vers le surréalisme par l’exposition de l’Art Nouveau Paris-Tokyo (où étaient représentés Breton, Tanguy, Miró, Arp et Ernst). Ce fut rapidement un phénomène de mode qui toucha des centaines de peintres s’en réclamant. En 1938 Ichiro rassembla des artistes représentant divers courants du modernisme, dont certains pratiquant l’art nihonga et des photographes. Formé à la photographie, Nakayama Iwata était passé par le constructivisme, mais après avoir rencontré Man Ray et László Moholy-Nagy en 1926 il entraina plusieurs photographes à créer un groupe surréaliste en 1930, le club ACC (1930-1942)93. La photographie créative se situant dans une pratique novatrice des arts qui empruntait beaucoup à la peinture moderne et au collage issus du cubisme synthétique autant qu’au surréalisme94. Iwata réalise ainsi l’un des premiers montages photographiques commerciaux japonais en 1930, et lance la revue photographique Kôga en 193295.
L’art abstrait prit des formes différentes de celles de l’Europe, et fut favorisé par la sensibilité à la sobriété. La peinture en fut le vecteur dominant. Saburō Hasegawa, après un long voyage d’étude en Occident à partir de 1929, se révéla en 1937 96 dans une écriture faite de signes graphiques posés sur de vastes zones colorées transparentes. L’importance du graphisme se manifeste aussi dans le Plan explicatif (ou Illustration), 1934, de Yoshihara Jirō97, aux tracés parfaitement maitrisés. Yoshihara Jirō est considéré comme le fondateur du mouvement d’avant garde Gutai dont le « Manifeste de l’art Gutai » (1956)98, selon ses propres termes, « donne vie à la matière »99. Le texte évoquant, entre autres, Jackson Pollock et Georges Mathieu.
Du côté du nihonga, Kitazawa Eigetsu affirme son choix dans les années 1930 de thèmes typiquement japonais, comme les scènes d’intérieur, qui voient se déployer toute la gamme des procédés « classiques » : couleurs traitées en aplats et contours fermes sans aucune transition colorée mais sans ignorer de subtiles effets de profondeur à l' »occidentale »100. En effet, bien que les traditions du yamato-e restent fortes, l’usage accru de la perspective occidentale et des concepts occidentaux d’espace et de lumière commencent à brouiller la distinction entre nihonga et yōga101. Le femme japonaise dans son costume si caractéristique y est alors symbole de la nation. Quant à Fukuda Heihachiro, des références à l’École Rinpa s’accordent avec une modernité qui frôle parfois l’abstraction102.
Par ailleurs, avec Ryūshi, la peinture nihonga sort des tokonoma pour affronter le regard du public et s’affirmer avec éclat par opposition à la peinture que Tanizaki voyait en harmonie avec l’obscur du tokonoma103.
Dans le tyle yōga, l’« association d’art indépendante » (Dokuritsu Bijutsu Kyokai) est fondée en 1930 par Kojima Zenzaburo (1893-1962) afin de se dégager des traditionalistes et de s’imprégner du monde moderne104. leur peinture relève de l’expressionnisme et du fauvisme. dans ce groupe très ouvert, Migishi Kōtarō, originaire d’Hokkaido, va s’écarter de la figuration dans les années 1930 pour atteindre des formes proches de l’abstraction dans Orchestra (1933). Leurs réalisations suscitèrent un vif intérêt par les innovations radicales qu’elles représentaient avec force.
Au cours de la Seconde Guerre mondiale, les contrôles conjoints du gouvernement et de la censure impliquent que seuls des thèmes patriotiques peuvent s’exprimer. Beaucoup d’artistes sont recrutés dans l’effort de propagande du gouvernement. Tsuruta Gorō réalise Parachutistes sur Palembang en 1942, peinture documentaire aux couleurs vives105. Fujita semble s’être engagé avec conviction dans des peintures de bataille très sombres, dans un enchevêtrement complexe de message politique et de créativité artistique106. Aujourd’hui l’examen critique dépassionné de leurs travaux ne fait que commencer.
Quelques artistes célèbres
Parmi les artistes importants de la période d’avant-guerre :
- Tomioka Tessai 1837-1924
- Hōsui Yamamoto 1850–1906
- Asai Chū 1856–1907
- Harada Naojirō 1863–1899
- Takeuchi Seihō 1864-1942
- Kuroda Seiki 1866–1924
- Fujishima Takeji 1867–1943
- Yokoyama Taikan 1868-1958
- Okada Saburosuke 1869–1939
- Kawai Gyokudō 1873-1957
- Kanzan Shimomura 1873-1930
- Wada Eisaku 1874–1959
- Hishida Shunsō 1874-1911
- Uemura Shōen 1875–1949
- Kiyokata Kaburagi 1878-1972
- Tomita Keisen 1879–1936
- Imamura Shikō 1880–1916
- Sōtarō Yasui 1881–1955
- Sakamoto Hanjiro 1882–1962
- Aoki Shigeru 1882–1911
- Kobayashi Kokei 1883–1957
- Sanzō Wada 1883–1967
- Yasuda Yukihiko 1884–1978
- Yumeji Takehisa 1884-1934
- Kawabata Ryushi 1885–1966
- Seison Maeda 1885-1977
- Tetsugorō Yorozu 1885–1927
- Tsugouharu Foujita 1886–1968
- Koide Narashige 1887–1931
- Tsuchida Bakusen 1887–1936
- Murakami Kagaku 1888–1939
- Ryūzaburō Umehara 1888–1986
- Kishida Ryūsei 1891–1929
- Gyoshū Hayami 1894–1935
- Yuzo Saeki 1898–1928
- Itō Shinsui 1898-1972