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Cosmogonies mythiques

A cette sagesse ionienne aux images si claires s’opposent les efforts faits sans doute vers cette époque pour donner un regain de faveur aux anciennes cosmogonies mythiques. Onomacrite, qui vivait à Athènes auprès de Pisistrate (mort en 527) passe, mais sans doute à tort, pour avoir rassemblé ces antiques légendes ; ce sont sans doute les débris de sa compilation ou des compilations de ce genre que nous trouvons dans nos plus anciens documents, qui ne remontent pas plus haut que Platon, Aristote et son disciple Eudème. Chacune de ces cosmogonies, comme chez Hésiode, présente une série de formes mythiques issues les unes des autres ; mais leur fantastique dépasse celui d’Hésiode ; nous avons affaire ici à. une véritable décadence ; il ne s’agit plus d’introduire un ordre, mais de frapper les imaginations. Chez Platon on voit le. Ciel et la Terre s’unir pour engendrer Océan et Thétys, d’où naît le couple de Chronos et de Rhéa, qui produit à son tour Zeus, Héra et leurs frères (1). Chez Aristote, les théologiens prennent la nuit pour principe (2). Nous connaissons par Eudème, disciple d’Aristote (3), tout un lot de cosmogonies analogues, qui d’ailleurs peuvent être des­pastiches d’époque relativement récente : moins réservé que ses maîtres, il nous montre mieux la grossièreté d’imagination de ces théologiens ; c’est par exemple .Hellanicos, selon qui le premier couple, l’Eau et la Terre, ont engendré Chronos ou Héraclès, qui est un dragon ailé tricéphale avec un visage de dieu entre une tête de taureau et une tête de lion ; il s’unit à Anangké ou Adrastée pour engendrer dans Ether, Erèbe et Chaos un œuf d’où sortira le monde. De ces élucubrations, celle qu’Eudème attribue spécialement à l’association religieuse des orphiques (les rapsodies orphiques), et qui montre Chronos, être suprême, engendrant l’Éther et le Chaos d’où sortent l’œuf du monde et le dieu ailé Phanès, n’a rien qui la distingue des autres.

Mais, prises dans l’ensemble, les théogonies d’Eudème offrent un trait remarquable, c’est la place qu’elles font à des formes mythiques telles que Chronos, le Temps, ou Adrastée, c’est-à-dire à ces formes mi-abstraites qui désignent une loi ou une règle ; ce sont elles que nous avons vu intervenir sous le nom de Justice dans les cosmogonies ioniennes. D’autre part, il semble que ces cosmogonies se cantonnent peu à peu dans les groupes religieux orphiques et forment corps avec l’ensemble de leurs croyances sur l’origine et la destinée des âmes. C’est Platon qui nous donne les détails les plus anciens et les seuls dignes de foi sur ces croyances : l’âme prisonnière dans le corps comme en un tombeau doit après la mort prendre place en un banquet où elle s’enivre éternellement (1). Peut-être les tablettes d’or découvertes dans des tombeaux du ne siècle, en Grande-Grèce, à Thurioi, à Pétélia, à Éleutherne, sur lesquelles sont gra­vées, comme dans un livre des morts égyptien, des recomman­dations sur l’itinéraire que doit suivre l’âme après la mort et les formules qu’elle doit prononcer, n’appartiennent-elles pas à la secte orphique (2). C’est, en tout cas, au cycle de mythes orphi­ques et au cycle dionysiaque que se rattache la légende, d’âge incertain, de l’origine divine de l’homme, à laquelle Platon fait allusion (3) ; les Titans, ennemis de Zeus, sont poussés par Héra à faire périr son fils Dionysos ; Dionysos est déchiré par eux, et ils en mangent les membres sanglants, sauf le cœur qui est avalé par Zeus et d’où renaîtra un nouveau Dionysos ; Zeus fou­droie alors les Titans ; de leur cendre naît la race humaine où le bien, qui vient de Zeus, est mêlé au mal, à l’élément titanique. Le poète Pindare, qui fleurit en 478, nous est un témoin de l’ex­tension qu’ont prise, de bonne heure, des croyances analogues. « Le corps de tous cède à la mort toute puissante ; mais, vivante encore, reste une image de notre être ; car seule elle vient des dieux (4). » Nous allons retrouver ces croyances chez les philo­sophes ; mais ce sera loin de l’Ionie.

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