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La Peinture Vénitienne

L’école vénitienne de peinture s’est développée essentiellement à Venise même, dans ce lieu indispensable aux échanges entre le Nord et le Sud, l’Europe du Nord et les pays baignés par la Méditerranée, l’Orient et l’Occident (et tout d’abord la plaine du Pô), durant une longue période qui va du XIVe au XVIIIe siècle, période de rayonnement de l’École vénitienne. Elle a rassemblé des peintres provenant des environs, ceux des territoires de la République, sur la terre ferme, et d’anciennes familles vénitiennes. Leurs peintures, devenues célèbres à Venise, ont été commercialisées dans toute l’Europe.

La « naissance » de la peinture vénitienne se situe au XIVe siècle, lors de la rupture toute relative à Venise avec l’art byzantin par l’intégration de thèmes gothiques comme le couronnement de la Vierge.

Au XVe siècle de grands ateliers de peintres vénitiens effectuent la transition qui va du style gothique international jusqu’aux applications, en peinture, des recherches de la première Renaissance. Le gothique international était aimable, décoré. L’or et les couleurs, riches de sens symbolique. Le tableau participant pleinement de la culture médiévale d’une Europe catholique. Les formes nouvelles de la première Renaissance ne font plus étalage de grandes étendues d’or (elles se réduisent bientôt au point de disparaitre du tableau). Vers la fin du siècle, le peintre abandonne progressivement la peinture à l’eau (tempera) pour la peinture à l’huile. La précision s’accorde avec la maîtrise du dessin : l’objet observé, détaillé, s’inscrit, à la bonne échelle, au sein du tracé en perspective de l’espace. La peinture qui fourmille de détails, se réfère souvent à l’art antique et fait l’objet de discussions savantes dans des cercles de plus en plus restreints, humanistes érudits, surtout autour de 1500. Après une grande vogue de tableaux destinés à la dévotion privée, les nouveaux commanditaires, confréries (scuole vénitiennes), patriciens cultivés, cours princières exigent des peintres cultivés eux aussi.

Cette période culmine au XVIèe siècle avec des peintres qui poursuivent l’élaboration du tableau, et la réflexion, au cours de la réalisation : le dessin préparatoire sur papier devient secondaire et parfois disparait. Les jeux de la peinture se superposent à même le tableau et le composent peu à peu : Giorgione (1477 – 1510) avec une peinture fondue, Titien (1488 – 1576), Le Tintoret (1518 – 1594) et Véronèse (1528 – 1588) avec des effets de pinceau nettement plus marqués. Tous célèbrent le corps humain dans tous ses états, en particulier d’innombrables portraits souvent chargés d’humanité. Chacun de ces peintres tient à rivaliser avec ses contemporains, recherche la prouesse. La multitude des effets qu’offre la peinture à l’huile qu’ils déploient renforce le prestige de l’artiste dans la société vénitienne et européenne d’alors. Le statut, envié, de peintre officiel de la République se mesure aux commandes princières, royales et impériales de toute l’Europe.

Ensuite, le XVIIIe siècle constitue une seconde période florissante pour l’art vénitien, après un très grand effacement au cours du XVIIe siècle. La plus grande artiste femme à Venise, Rosalba Carriera (1675 – 1757) est aussi la pastelliste dont le savoir-faire, diffusé dans toute l’Europe lance la mode du pastel, pour un portrait qui peut, dès lors, être saisi avec plus de naturel. Giambattista Tiepolo est recherché pour la vivacité de son pinceau et ses ciels splendides. Venise devient le lieu incontournable des premiers touristes. Les paysagistes vénitiens créent pour ces clients la « vue » prise sur les sites célèbres, à leur contact. Ainsi prend naissance le védutisme. La « vue » se nomme en italien veduta (pluriel vedute) : CanalettoGuardi s’en font une spécialité. Certaines peintures de Canaletto sont réalisés avec l’aide de la chambre noire, ancêtre de l’appareil photographique. En 1789, Guardi, devant un gigantesque incendie de tout un quartier de Venise, peint l’évènement comme un document. C’est une nouvelle conception de l’image, saisie au contact direct avec le réel. En 1797 la République de Venise passe sous la souveraineté autrichienne. L’école vénitienne de peinture a cessé d’exister.

Histoire

Le XIVè siècle : La Naissance de la peinture Vénitienne

La continuelle présence, au cœur de Venise, des mosaïques de la basilique Saint-Marc, qui relevaient de la tradition picturale byzantine (au XIVe siècle), exposaient devant les yeux des peintres les effets colorés des tesselles à fond d’or et leurs a-plats de couleurs vives qui chatoyaient dans les volumes de la basilique et avec la lumière changeante. Ce fut certainement, de tout temps à Venise, une forte stimulation pour les peintres à travailler les couleurs et la peinture : comment transposer ces effets en peinture ?

Au début du XIVe siècle, les peintres vénitiens s’ouvrent de plus en plus à la peinture du continent, et en particulier au mouvement gothique venant du Nord de l’Europe. Paolo Veneziano est le tout premier peintre vénitien dont nous connaissons le nom en tant qu’artiste1. Il fut le premier à élaborer un langage pictural personnel, en équilibre entre l’art byzantin et les nouveaux thèmes de la peinture gothique comme, ici, le couronnement de la Vierge. Les parties du corps représentées sont peintes suivant la tradition byzantine de l’époque : après une préparation en blanc (byzantin : leukos), sur un fond sombre (brun-vert , byzantin : sankir) les couleurs apposées sont de plus en plus claires, pour finir par le blanc2. La précision du travail relève d’un savoir-faire de miniaturiste produisant un effet de tapisserie. Les motifs floraux des vêtements du Christ et de la Vierge reproduisent des tissus de soie brodée inspirés de broderies chinoisesN 1 ou de céramiques chinoises1 : un commerce par la route de la soie qui a repris son essor avec la dynastie Yuan, encore au pouvoir à cette époque en ChineN 2, et qui aboutissait précisément à Venise. Par ailleurs les motifs en forme de vagues de tissus, entre le Christ et la Vierge, semblent être des motifs d’une calligraphie arabe de fantaisie, comme cela s’est pratiqué en Italie pendant plusieurs siècles avant et au cours de la Renaissance3.

Polyptyque du couronnement de la Vierge. Détail. Tempera et or sur panneau, vers 1350. Gallerie dell’Accademia de Venise

Le XVè siècle 

Bartolomeo et Antonio Vivarini Jacopo Bellini

Le début du Quattrocento est marqué à Venise par l’œuvre de Jacobello del Fiore dès 1400 et le passage de Gentile da Fabriano vers 1410. Le style de ces peintres relève du gothique international : multiplication des zones de couleurs différenciées, accentuées par des ornements distincts, et encadrements sculptés qui renforcent les différentes parties des polyptyques. Opulence des brocarts et des décors somptueux, poses gracieuses et répétitives : « l’image est brillante, paradisiaque, par son luxe elle plonge le fidèle dans l’admiration et, donc, dans la dévotion. Les prestiges de la peinture sont utilisés à plein pour séduire les yeux et, à travers eux, l’esprit et l’âme du spectateur »5Bartolomeo Vivarini, en peignant à la Basilique San Zanipolo, un polyptyque dédié à saint Augustin (1473)6 encore profondément gothique, montre un certain « expressionnisme » pictural : espace sans profondeur, économie de couleurs réduites à des contrastes francs (noir-blanc-rouge), très peu d’ornements. Carlo Crivelli, après avoir fait sa formation dans l’atelier d’Antonio Vivarini et Giovanni d’Alemagna, poursuivra sa carrière dans les Marches avec une peinture précisément intégrée à l’architecture du gothique flamboyant, international et à son décor.

Mais en 1446, à Venise, cette fragmentation décorative de l’espace n’est plus à l’ordre du jour, bien au contraire. Pour Antonio Vivarini et Giovanni d’Alemagna, dans le triptyque de l’Accademia, l’espace est unifié sur les trois panneaux. Sur ce point le tableau crée une innovation dans la peinture de polyptyques à Venise7. Le tableau ne suit que partiellement le petit traité sur la peinture de Leon Battista Alberti, pourtant publié en 1435, et qui codifiait certains des principes fondamentaux que ses amis florentins avaient exploités pendant le premier quart du XVe siècle : le point de fuite est situé sur l’axe vertical médian du tableau, celui de la Vierge et l’Enfant. Le message que transmet ce point de fuite est clair : la Vierge et l’Enfant attendent notre venue8, le regard vers ce point de fuite n’est qu’un vecteur. Ce triptyque de l’Accademia est aussi l’une des plus anciennes peintures vénitienne sur toile qui nous soient parvenues : à Venise les fresques ne se conservaient pas en raison de l’humidité des murs et des conditions climatiques9. La toile pouvait, comme dans l’Europe du Nord, permettre de conserver la peinture en la maintenant détachée du mur. Un grand nombre de fresques durent ainsi être remplacées par des peintures sur toile, les peintures sur panneaux se limitant à des formats plus modestes. Ce support, la toile, au grain soigneusement recouvert d’enduits blanc, poncés à l’époque d’Antonio Vivarini, allait donner la liberté aux peintres vénitiens, dès Carpaccio, vers 1480, d’introduire des effets de peinture bien plus nombreux dans l’épaisseur de la couche picturale en jouant sur le grain de la toile, épaisse, au tissage bien visible. Celle-ci étant préparée en sombre au XVIe siècle10.

Gentile et Giovanni Bellini, Giovanni Battista Cima da Conegliano

Giovanni BelliniL’Extase de saint François ou Saint François au désert. Vers 1480. Tempera et huile sur peuplier, 124,4 × 141 cmThe Frick Collection.

Au cours de cette première Renaissance on constate de nombreux échanges entre les idées qui circulent en Europe et les ateliers vénitiens. Ainsi, dans un courant de pensée qui sera aussi celui de Léonard de Vinci plus tard dans le siècle, Iacopo Bellini, grand dessinateur vers 1440, introduit le goût du détail étudié sur le vif et remplace la prolifération décorative par une multitude de détails observés : portraits, animaux et objets familiers, toute la nature est étudiée avec la plus grande précision au cours de cette période. On en retrouve trace dans les détails de l’Extase de saint François de : Giovanni Bellini, vers 1480. La peinture à l’huile, d’origine flamande et son naturalisme, était connue et admirée en Italie. Or, en 1475-76, Antonello de Messine, avait fait un séjour à Venise où le fondu de sa peinture à l’huile et l’espace clair qu’il introduisait dans la peinture de dévotion avaient été particulièrement remarqués11. Giovanni Bellini va s’emparer de cette matière picturale vers 1480 pour en développer tous les effets de fondu et de transparence dans la représentation des effets atmosphériques et d’harmonie colorée propre à un moment du jour, comme on le perçoit plus qu’ailleurs dans la lumière de Venise et de sa lagune. Cette attention à l’harmonie, dans les tableaux religieux comme dans la nature, se fait l’écho de réflexions qui se développent à l’université de PadoueN 4 avec l’association de la Vierge Marie à la générosité de la Nature. Dès ses premières grandes peintures à l’huile (comme dans L’Extase de saint François), Giovanni Bellini introduit une nouvelle luminosité atmosphérique dans le paysage naturel par des glacis à l’huile sur la tempera. Ces glacis très transparents facilitent ainsi l’accord général des couleurs en fonction de l’unité de lumière, et dans l’Extase de saint François, la lumière de l’aube.

À cette époque, les territoires qui jouxtent ou qui sont intégrés progressivement à la république de Venise, offrent à tous les peintres l’occasion de contacts culturels, comme avec les humanistes de la cour de Ferrare12. Leurs recherches sur la perspective géométrique, celles de Leon Battista Alberti en particulier, vont atteindre ainsi Jacopo Bellini, qui se passionne pour les dessins d’architecture en perspective, et le transmettre à son atelier, surtout à son fils Giovanni. Le gendre de Jacopo Bellini, Andrea Mantegna, lui aussi passionné de géométrie perspective, artiste padouan et non vénitien, mais donc très proche des Bellini, trouva dans les sculptures du florentin Donatello à Padoue (en particulier le monument équestre à Gattamelata) le goût tout à fait « Renaissance » des monuments antiques, leur décor, et comparer ce que l’artiste pouvait observer sur le modèle vivant, au naturel, et sur le modèle antique, idéalisé. Le retable de San Zeno à Vérone, de 1559, en est la forme la plus explicite. Mantegna y démontre qu’il assimile le monde antique contemporain de la vie du Christ et sa représentation en perspective pour le spectateur moderne. C’est ce qu’il fait dans ses dessins, ses peintures et leurs encadrements en relief, mais aussi en réalisant les toutes premières gravures en taille-douce de grande taille, d’un travail méticuleux et qui, tirées en grand nombre, circulèrent jusqu’au-delà des Alpes, dans les mains de Dürer. L’architecture représentée en relief dans l’encadrement du polyptyque de Vérone se prolonge par sa représentation en perspective à l’intérieur de la peinture. On retrouve ce passage entre l’espace du spectateur et l’espace de la représentation sacrée, comme une fenêtre ouverte, dans le retable installé à San Zaccaria13 en 1505 par Giovanni Bellini. Celui-ci avait su faire la synthèse de tous ces mouvements dans la culture et dans la pratique des peintres du xve siècle. Il était, alors, le peintre le plus admiré de Venise.

Carpaccio

Départ des ambassadeurs anglais. v. 1495 Huile / toile, H. 280 L. 253 cm. (Scuola di Sant’Orsola). Academie.

Très tôt, avant 1502, Vittore Carpaccio (v. 1460-1526) avait fixé son style et défini son univers poétique14. Sa peinture, très différente de celle de ses contemporains, s’est tenue à l’écart des grands courants de la révolution picturale à Venise.

Influencé par la peinture flamande, il est l’un des premiers à utiliser l’omniprésence de l’architecture, des décors intérieurs vénitiens et des paysages urbains utopiques préfigurant un genre, les vedute (paysages urbains à Venise même et sur la lagune). Il traitera invariablement de manière grave et naïve, parfois pittoresque, la réalité vénitienne, en marge de la mode picturale de son époque. ll obtint de nombreux contrats des Scuole, confréries charitables et de bienfaisance qui employaient des artistes pour décorer leurs locaux. Le goût de Vittore Carpaccio pour les histoires a pu se développer librement dans le cycle de peintures consacré aux épisodes de la vie de Sainte Ursule, destiné à la Scuola di Sant’Orsola.

Il a collaboré avec Gentile Bellini et deux autres représentants de la tradition narrative vénitienne, Lazzaro Bastiani et Giovanni di Niccolò Mansueti, au cycle de tableaux réalisé pour la Scuola Grande di San Giovanni Evangelista. Entre 1501 et 1503 il exécute pour la Scuola di San Giorgio degli Schiavoni, consacrée à Saint Georges et à Saint Tryphon, deux grandes toiles représentant Saint Georges et le dragon, les deux peintures de Saint Jérôme et le lion et Les Funérailles de saint Jérôme, ainsi que La Vision de saint Augustin. Dans ce dernier tableau Carpaccio représente le lieu de travail d’un humaniste cultivé autour de 1500.

 

Le XIVè Siècle

Paolo Veneziano

Giorgione

Le Titien

Le Tintoret

Véronèse

 

 

Le XVè Siècle

Bartolomeo Vivarini

Antonio Vivarini

Jacopo Bellini

Gentile Bellini

Giovanni Bellini

Cima da Conegliano

Vittore Carpaccio

Le Tonalisme

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